Les agents de l’ONF ont la gueule de bois
Ardennes. Management à la hussarde, vague de suicides, effectifs à la baisse, gestion financière de la forêt : les agents de l’ONF des Ardennes disent « stop ».
«QUAND je suis rentré à l’ONF, on était 140 dans les Ardennes. Aujourd’hui, on est 68… »
Délégué du syndicat Snupfen-Solidaires (*), Jean Wiart, qui a débuté sa carrière professionnelle comme photographe au service de presse des armées avant de bifurquer vers une… autre branche, se bat moins pour lui que pour l’avenir de ses jeunes collègues et de ce qu’il considère encore comme un service public.
Et s’il devait réaliser un instantané de la réalité 2011 de l’Office national des forêts, le cliché serait moins verdoyant que noir et blanc.
Avec plusieurs de ses confrères, il a déposé une motion hier matin sur le bureau du directeur de l’ONF des Ardennes, à Charleville, lequel était d’ailleurs absent.
« On veut maintenir la pression durant l’été avant des actions plus fortes à la rentrée », ont-ils prévenu.
C’est d’ailleurs le cas dans la plupart des régions de France.
Ici comme ailleurs, deux faits cristallisent la colère des agents : le suicide d’un de leurs collègues de l’Allier le 19 juillet (le 4e en un mois, le 24e depuis 2005, lit-on dans la motion), et la signature, le lendemain même, d’un nouveau contrat Etat-ONF pour la période 2011-2014. « Un contrat qui annonce la mort à petit feu de notre établissement. Déjà fortement touché par la RGPP, l’ONF se verra amputer d’ici 2016 de 693 équivalents temps plein dont 500 postes de fonctionnaires (soit l’équivalent des effectifs de la seule direction régionale Champagne-Bourgogne). Et avec moins de personnels, l’ONF devra augmenter son activité, activité non tournée vers le long terme (la gestion du patrimoine et de la biodiversité de la forêt, ndlr), mais essentiellement centrée sur le productivisme », estime le Snupfen-Solidaires.
Filière bois…
Explication de texte de Jean Wiart : « L’ONF est organisé et géré désormais comme une boîte privée, avec des primes d’objectif, un management agressif (parce que l’encadrement est aussi rémunéré au résultat)… Les agents de terrain en font les frais. Parfois de la manière la plus tragique… »
Et encore : « Sur les Ardennes, on a eu à gérer les conséquences de la tempête du 14 juillet 2010. Soit sur le nord du département 100 000 m3 de résineux. L’équivalent de six ans de récolte ! Rien que dans mon secteur, j’en ai traité 33 000 m3 (soit la bagatelle de 927 camions !). Et après, on vient me chercher des poux parce que j’ai fait trop de kilomètres ou passé trop de coups de fil : mais fallait bien les expédier, ces milliers de mètres cubes ! »
Des résineux qui soit dit en passant se sont bien vendus… à l’étranger.
Tant mieux pour le chiffre d’affaires de l’ONF, même si les agents regrettent que cette course à la rentabilité ne permette plus « une gestion forestière sur le long terme, une gestion globale et multi-fonctionnelle ».
Et de réclamer dans la foulée un « débat national sur la forêt » et, au regard du désarroi qui a pu amener certains d’entre eux à commettre l’irréparable – moins parce qu’ils sont isolés, selon le Snupfen, que parce qu’ils ont une pression forte de la hiérarchie et qu’ils n’ont plus l’autonomie nécessaire et les moyens pour réaliser leur mission-, à reprendre sérieusement les conclusions d’une enquête sur le climat social réalisée en 2004 mais « qui alertait déjà la direction sur la dégradation du climat »…
« Avec moins de personnels, l’ONF devra augmenter son activité, et donc aller vers toujours plus de productivisme… », dénonce encore le syndicat.
Bref, la rentrée pourrait être chaude, même si pour l’heure, la casse est limitée dans le département au niveau des effectifs : « Notre directeur a réussi pour l’heure à passer entre les gouttes, mais 15 agents vont partir à la retraite dans les quatre ans qui viennent. Combien seront remplacés ? », questionne Jean Wiart.
Qui conclut : « On parle sans cesse de la filière bois. Ah oui, on fait du bois ! On vend. A l’étranger, d’ailleurs. Mais quid de ce patrimoine ardennais à moyen terme si on ne peut l’entretenir ? »
(*) Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (membre de Solidaires).
Philippe MELLET
Article paru dans l’Ardennais du 5 août 2011:
http://www.lunion.presse.fr/article/ardennes/les-agents-de-lonf-ont-la-gueule-de-bois