Le patron de l’éducation nationale dans les Ardennes veut museler ses cadres
ARDENNES. Les proviseurs et principaux doivent désormais passer par Patrice Dutot avant de répondre aux questions des journalistes. Un « muselage » classique en période de restructuration.
LE courriel a été adressé à l’ensemble des proviseurs et principaux des lycées et collèges ardennais quelques jours avant les vacances de Noël.
Avec comme « objet » la mention très précise : « Communication médias ».
Long de quelques lignes, le message est signé Patrice Dutot, directeur académique des services de l’éducation nationale dans les Ardennes (Dasen), fonction il y a peu encore désignée sous l’appellation « Inspecteur d’académie ». Bref, pour être simple, c’est le patron de l’éducation dans le département qui s’adresse à ses cadres.
Et il n’y va pas par quatre chemins.
Il rappelle d’abord que toute « opération de communication » avec les médias doit impérativement passer par « son cabinet ».
Et le mode d’emploi suit : « Lorsque vous êtes sollicité par un journaliste, vous lui demandez de vous adresser sa requête (sic) par mail. A réception de celui-ci, vous transférer ce mail sur la boîte mail de mon cabinet… »
Et de promettre une réponse rapide des services dudit cabinet afin que le proviseur ou le principal sache quoi et comment répondre à ces journalistes décidément trop curieux et bien encombrants…
Le problème, c’est que cette injonction est désormais appliquée avec un zèle tout particulier par certains chefs d’établissements et que prendre une photo d’une exposition dans un CDI ou relater une excursion linguistique relève ici ou là du parcours du combattant ou du « secret défense ».
Mais c’est bien d’autres sujets de discussion et des polémiques plus cruciales qui intéressent le Dasen : tout ce qui touche de près ou de loin la carte scolaire et la restructuration du réseau des collèges et lycées. C’est pourquoi, réflexe classique en de telles circonstances, l’ordre a été donné aux cadres de ne pas s’exprimer sans en référer en haut-lieu.
Mission
Car si la saignée en terme de postes d’enseignants a été stoppée avec l’arrivée du gouvernement Ayrault (plus de suppressions comme on en a connu ces dernières années dans les Ardennes, en premier ou second degré, mais point encore, au grand désarroi des syndicats, de créations !), pour ce qui est de l’architecture générale, Patrice Dutot s’en tient à sa feuille de route.
« J’ai une lettre de mission », avait-il expliqué sans ambages lors de sa tournée des popotes (pardon, des salles des profs), lors de la pré-rentrée : « Il y a dans les Ardennes une baisse de la démographie. Je dois optimiser le réseau des établissements », avait-il ainsi répondu aux enseignants du lycée Vauban de Givet, inquiets de voir partir (vers Revin) certaines filières. Il avait alors précisé, toujours par rapport à la philosophie de sa lettre de mission : « Question incidente : y a-t-il une taille idéale, pour les établissements, les collèges notamment ? Dans ce territoire, c’est évident, il y a un vaisseau amiral, le nouveau lycée de Revin. »
Nommé au tout début du mois de mai (entre les deux tours de la présidentielle pour être précis), Patrice Dutot sait cependant naviguer. A Givet, ce même jour, il avait ainsi plaidé : « Je suis le premier employeur du département. Parfois, souvent, l’école est le seul service public sur un territoire. Il faut donc optimiser les structures et moyens sans remettre en cause l’attractivité des territoires en question… »
Cela étant, en quelques mois, de Givet à Bazeilles en passant par le Vouzinois, parents d’élèves, enseignants et élus ont jugé que le service public risquait quand même de payer quelque tribut à ce noble devoir d’optimisation… D’où la multiplication des manifs, pétitions, refus de vote en conseil d’administration… Ce n’est encore une émeute et encore moins une révolution, mais le paysage ardennais, surtout dans le second degré, commence à sentir un peu le souffre.
Pschitt
Dans le même temps, certaines collectivités en charge des bâtiments (à commencer par le Département, qui avait il y a quelques années esquissé – avant de remettre les bras dans le lit face à la fronde – un schéma de refonte de la carte des collèges pour rationaliser ses budgets de fonctionnement, sans compter les structures de type Pailleron qui font tâche dans le décor, mais aussi la Région, qui a investi à Revin par exemple en espérant sans doute que les mètres carrés financés soient proportionnels au nombre d’élèves accueillis) suivent évidemment ce débat avec beaucoup d’intérêt.
Bref, ce « Silence dans les rangs ! » de Patrice Dutot, s’il n’est pas surprenant, risque d’autant plus de faire pschitt que les chefs d’établissement de toute façon ne sont pas en cause et n’ont pas l’habitude de hurler dans les mégaphones. Mais rendu public, et l’intéressé devait s’y attendre, ce mot d’ordre risque d’attiser davantage encore ceux qui craignent que la démocratie locale et le dialogue social soient absents de belle nécessité d’optimisation.
Mais il ne faut jamais désespérer. C’est Patrice Dutot en personne qui explicitera ses décisions en terme de restructuration du réseau des établissements, mercredi, lors d’une conférence de presse. Et prière aux proviseurs et principaux de bien apprendre leur leçon.
Philippe MELLET
Article paru dans l’Ardennais du 11 janvier 2013: