Galère le long du canal

RETHEL (Ardennes). Il est revenu piqué par les orties et dévoré par les moustiques. Il s’est perdu. Il a manqué plusieurs fois de tomber à l’eau. Écrivain et randonneur, Guy Féquant se souviendra longtemps de son Rethel-Vouziers à pied par le canal des Ardennes.

ÉCRIRE et marcher, pour lui, ça ne fait qu’un. Mais tourisme et Sud Ardennes, ça fait bel et bien deux.
« Le Sud des Ardennes connaît une grave déficience touristique », assène Guy Féquant. Avant de nuancer : « Je ne veux pas être dans le dénigrement systématique. Dans le nord des Ardennes, il y a une belle cohérence entre les marionnettes, le PNR et la Voie verte. À Rethel, je reconnais qu’il y a des initiatives et des bonnes volontés. Mais les élus fonctionnent comme il y a trente ans. Ils n’ont pas encore intégré le tourisme moderne. »
L’auteur des Blancs chemins (récit d’un pèlerinage entre Château-Porcien et Vézelay), avance une idée capable, à ses yeux, de doper le tourisme (et l’économie) local(e) : l’aménagement d’une « coulée verte » entre Vouziers et Rethel, et même jusqu’à Brienne-sur-Aisne, le long du canal des Ardennes. Avec une mise en valeur des secteurs traversés, comme « le site splendide des écluses de Montgon ».

Potentiel inexploité

Pour cet avaleur de kilomètres qui, lorsqu’il ne marche pas, vit à Barby, tout près de Rethel, le paradoxe vient de la situation exceptionnelle, et exceptionnellement inexploitée, du Sud Ardennes : « à l’ouest, il y a le GR 654, que tous les marcheurs d’Europe du nord empruntent pour aller à Saint-Jacques de Compostelle, et qui passe par Château-Porcien *; et à l’est, on trouve le GR 14, qu’emprunte l’Europe du nord pour se rendre en Italie, et qui passe par Buzancy. Mais curieusement, rien n’est fait pour capter ces marcheurs entre Rethel et Vouziers. »
Guy Féquant rêve donc d’un chemin de halage séduisant qui permette aux marcheurs, routards et plaisanciers en tous genres, de randonner entre les deux sous-préfectures. Pour le moment, on n’en est loin…

« La catastrophe »

Pour se faire une idée précise, l’écrivain a pris son bâton de pèlerin. Il y a quelques jours, il est parti à 9 heures de Rethel. Il est arrivé une douzaine d’heures plus tard à Vouziers, 40 kilomètres plus loin. Son verdict : « C’est la catastrophe. »
« Le canal n’est pas du tout aménagé. Il y a quelques secteurs agréables, entre Rethel et Thugny-Trugny par exemple, ou à la très jolie (mais unique !) aire de pique-nique d’Attigny. Sinon c’est la grande misère. Près de Blanzy et de Givry, la voie, qui n’est plus entretenue, est envahie de broussailles et d’orties. Entre Voncq et la gare de Vrizy, même chose… À Rethel et à Ambly, le chemin est coupé, sans que rien ne nous avertisse, par les domaines clos des coopératives agricoles. Très peu d’aires de repos, pas de point d’eau fraîche, des dépôts d’ordures sauvages, des berges effondrées : bref la galère ! »
Faute d’entretien, orties, ronces et moustiques prolifèrent. Durant notre reportage, un agent de Champagne céréales vient nous saluer. Il confirme : « C’est de moins en moins bien entretenu. Avant on pouvait venir ici à vélo. Aujourd’hui ce n’est plus possible. »
Et c’est même dangereux. « Plusieurs fois, j’ai manqué de tomber à l’eau tellement le chemin est abîmé », confie Guy Féquant. « Pourtant, il y a un réel potentiel. Il suffit de débroussailler, rempierrer les chemins, mettre des panneaux. Ce ne sont pas des investissements très coûteux. »
Reste à convaincre les collectivités locales, le conseil général, les VNF, de s’asseoir à la même table. Ce qui ne sera pas une mince affaire. Le manque d’entrain des communes à investir la Voie verte actuelle (manque criant de bancs, de tables de pique-nique, de poubelles, de sanitaires, de gîtes, etc.), et le chantier de l’extension vers Mouzon (lire par ailleurs), n’appellent pas vraiment à l’optimisme…

Guillaume LÉVY

* La présence d’un gîte pour les pèlerins à Château-Porcien fait d’ailleurs vivre en partie la supérette et le bistrot du village.

Article paru dans l’Ardennais du 9 Août 2012:

http://www.lunion.presse.fr/article/ardennes/galere-le-long-du-canal

Finir d’abord la Voie verte

Au conseil général, on reconnaît que l’idée d’un sentier touristique longeant le canal des Ardennes est séduisante. Elle a d’ailleurs déjà été étudiée. « Il y a eu une réflexion il y a quelques années, explique Thierry Robert, en charge de l’économie (et donc du tourisme) au Département. Nous avions estimé à l’époque que l’aménagement des 90 kilomètres du chemin de halage entre Pont-à-Bar et Brienne-sur-Aisne coûterait 8,5 millions d’euros TTC ».
Mais voilà : les temps sont durs, les bourses sont vides, et « il y a d’autres priorités avant de nous embarquer sur le canal », note le directeur.
Aujourd’hui, l’objectif numéro 1 est de finir la Voie verte. D’une part en réglant l’épineux problème du tronçon Chooz – Ham-sur-Meuse (où la Voie verte traverse une route dangereuse).D’autre part, et surtout, en réalisant l’extension de la Trans-Ardennes jusqu’à Mouzon, si possible avant 2015 pour bénéficier de fonds européens.
En chiffres, cette nouvelle aventure, qui débutera au printemps 2013, s’avère colossale : pour étendre la Voie verte aux Trois cantons (57 km entre Charleville et Mouzon), la note s’élève à 12,250 millions. Le conseil général espère, en plus d’une subvention déjà actée de l’État de 500.000 euros, des aides de l’Union européenne et de la Région (entre 2 et 2,5 millions à chaque fois).
Autant de raisons qui expliquent que le Département refuse de piloter une opération d’envergure sur le canal des Ardennes. Au mieux, il accepterait d’aider financièrement ce projet. « Le conseil général pourrait accompagner un projet porté par les communes et intercommunalités », avance-t-on prudemment au conseil général.
Une façon aussi d’inciter les collectivités locales à faire davantage pour le tourisme. « Avec la Voie verte entre Montcy et Givet (achevée en 2008, elle s’étire sur 83 km et a coûté 14,5 millions, ndlr), le conseil général a clairement souhaité créer l’infrastructure. À charge pour les communes et communautés de communes de s’emparer de ce bel équipement et de le faire vivre.Or on est encore loin d’une exploitation optimale… »
Ce qui, en langage diplomatique, signifie : les communes ne jouent pas le jeu.
G.L.

Article paru dans l’Ardennais du 9 Août 2012:

http://www.lunion.presse.fr/article/autres-actus/finir-dabord-la-voie-verte

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